Mansplaining, 30 millions d’amis des femmes

Peut-être en avez vous entendu parler, un éditeur et théoricien de la BD, Thierry Groensteen, a récemment honoré le blog de la Cité BD d’un article pour dire tout le mal qu’il pense de nous.
Expert et respecté sur des sujets séquentiels, notre charte féministe l’a rendu si perplexe qu’il s’est senti le devoir de venir nous taper sur les doigts, comme un maître d’école bien maladroit. Beaucoup d’internautes ont su déceler le ton paternaliste du théoricien qui en bon ami des bêtes femmes nous explique comment il faut faire, et qui – soumis à une mémoire sélective très ciblée – ne sélectionne que la partie qui l’arrange de notre discours, ce que quelques unes ont pu dire ou faire en 1970 ou il y a 4 ans, tout en pensant à leur place (“Chacune de ces femmes de Lettres serait très surprise” selon lui) ou en manquant de citer les sources convenables. Le tout en nous rappelant que le sexisme c’est mal quand même, finissant sur une liste de noms longue comme le bras souhaitant prouver que les femmes la féminité tout ça, il s’y connaît.

©Anne Simon

L’article de Groensteen n’est que la partie visible d’un iceberg. Si on réagissait à tous les rabats-joie qui ne demandent pas mais affirment, qui nous écrivent parce qu’ils ont relevé une incohérence, parce que la non-mixité c’est du ghetto, parce qu’il y a tant d’années telle autrice a dit ou fait telle chose en contradiction avec la charte aujourd’hui, hé bien on en aurait jusqu’à la Saint Glinglin !
Nos actions actuelles pour nous émanciper ont donné du mauvais palpitant à tous ceux qui tentent de nous diviser ou de s’immiscer dans le groupe. Comment est-ce possible que tant de femmes portent ensemble ces revendications ? Comment ça, briser les rôles et stéréotypes sociaux du féminin et du masculin ? Et moi ma masculinité alors…? Qui suis-je, que suis-je…? Oui c’est effrayant, oui c’est un débat de société.

Se déclarer auteur femme, auteur noir, auteur gay, lesbienne, trans, se déclarer tel quel parce qu’on écrit sur sa propre condition et sur l’oppression qu’on subit, notre collectif n’a jamais remis cela en cause. Nous citer hors contexte ou tout mettre dans le même sac c’est de la basse désinformation.
La seule chose originale qu’a rédigé Groensteen par rapport aux autres grammairiens qui nous écrivent concerne son opinion sur la masculinité et la féminité. «Bien sûr que les hommes qui font profession de dessiner le font avec leur masculinité !» Nous avons bien ri en imaginant ce que cela pouvait donner. Pourtant il nous dit plus loin qu’on crée à partir de ce que l’on est : un produit socio-culturel. Ça tombe bien, nous avions écrit dès le départ que le féminin et le masculin sont des constructions socio-culturelles, donc en mouvement, difficile à délimiter !
Mais maintenant nous sommes très curieuses de ces hommes qui dessinent avec leur masculinité ! Ami auteur qui dessine avec ta masculinité, écris-nous s’il te plaît ! Nous voulons des témoignages ! Peut-être ceci nous aidera à commencer à dessiner avec notre féminité ! Parce que jusqu’à maintenant, pour créer des histoires et des personnages – peu importe leur sexe et leur vécu – nous faisions appel à nos émotions et notre empathie. Les limites d’un auteur à rendre hommage à ses personnages ne se délimitent pas par le dosage de féminité/masculinité en elle/lui mais en capacité d’empathie, de dépassement de soi, de compréhension de l’autre, de sincérité. Même femme on peut raconter les tranchées de la Grande Guerre (Mauvais Genre), même homme on peut parler shopping ou bien s’inventer Judith Forest.

Nous convenons que le voile que nous soulevons soit effrayant pour certain.e.s. À bout d’argument et dans l’ignorance totale on nous sort même que le genre est une théorie en contradiction avec le sexe biologique (voir commentaires de l’article sur citebd.org). Non seulement dire cela fait du mal à beaucoup – beaucoup – d’individus, mais cela nie aussi le travail mené en Sciences Sociales depuis plusieurs générations, autant par des chercheurs scientifiques, des neurobiologistes, des psychanalystes et des sociologues pour nommer l’inné et l’acquis.

Nos témoignages et déclarations concernent une réalité concrète, celle que nous et beaucoup d’autres vivons, dans la vraie vie. On n’est pas en train d’interpréter une planche de bd. Ce n’est pas à nous de faire «encore un effort» pour briser les stéréotypes qui nous affligent, c’est à tout un chacun de faire ce travail sur soi. Comme nous l’avons écrit précédemment sur ce blog, cette prise de conscience ferait déjà reculer le sexisme ordinaire. N’oubliez pas de vous inscrire à notre newsletter pour suivre nos activités à ce sujet ! En attendant, nous continuerons de penser notre condition et de créer nos livres comme nous l’avons toujours fait : sans les conseils de papa.

©Florence Cestac