L’écriture de ce texte a été impulsée par l’absence de réactions suite à l’enquête publiée par Mediapart sur Florent Ruppert.
Sois mâle et tais-toi
Lorsqu’un artiste est accusé de violence sexuelle ou sexiste, l’absence de réaction de ses pairs peut être assourdissante. On entend souvent des arguments comme « Je ne veux pas prendre parti » ou « Je ne veux pas préjuger de l’innocence ou de la culpabilité ». Mais quand ces accusations sont rendues publiques dans les médias, cette position de neutralité devient intenable.
Nous avons vu cela se produire maintes fois ces dernières années, que ce soit dans le monde du cinéma, de la musique, du théâtre ou des arts visuels. Des accusations d’agression sexuelle, de harcèlement ou de comportement inapproprié sont rendues publiques dans les journaux, et les hommes de l’industrie, membres de boys clubs privilégiés, se taisent. Ils ne veulent pas se mettre en travers de la carrière ou de l’influence d’un collègue puissant, ils préfèrent ignorer le problème, en laissant la victime seule face à l’impunité des agresseurs.
Cette absence de compassion et ce silence envoient un message clair aux victimes : « Nous ne sommes pas là pour prendre votre sécurité au sérieux ». Ce message participe également à une culture où la violence sexuelle est perçue comme acceptable, voire encouragée, ce qui crée un environnement toxique et dangereux pour les femmes et les personnes sexisées.
Cette apathie générale, qu’elle soit des pairs ou des médias, est intolérable et contribue par ailleurs à l’invisibilisation des victimes. Les pairs n’aiment pas que leurs privilèges soient bousculés. Ils n’acceptent pas d’être remis en question ni confrontés à leurs contradictions.
Pendant ce temps, les victimes continuent à subir des violences qu’on leur demande de taire et de garder pour la sphère privée. Car une fois qu’elles ont eu le courage de parler, il ne serait pas tolérable que la vie privée éclabousse l’Art. Cette litanie selon laquelle, toujours, il faut prendre soin de séparer l’homme de l’artiste, aveuglément, comme si les deux n’étaient pas inévitablement liés.
Pourquoi les personnes sexisées sont-elles forcées de s’éteindre ou de se retirer d’un milieu professionnel ? Pourquoi leurs pairs ne font-ils pas preuve de soutien, de compassion, de solidarité, en s’emparant du sujet du sexisme, des violences et du harcèlement, et en parlant avec leurs collègues, plutôt que de laisser les personnes sexisées survivre du mieux qu’elles peuvent… sans se noyer ? Pourquoi les médias ne relaient-ils pas (ou si peu) ces faits de violences, laissant penser que ce n’est pas un sujet assez important ou intéressant pour être porté à la connaissance du public ? Leur silence contribue à faire perdurer ces actes en les occultant et en permettant aux agresseurs de continuer à agir en toute impunité, sans crainte de voir leur réputation entachée. Regarder ailleurs relève d’un privilège que les personnes sexisé·e·s n’ont pas.
Nous voulons que les hommes de l’industrie artistique, des médias et d’ailleurs prennent leurs responsabilités en matière de prévention de la violence sexuelle et soutiennent les victimes, qu’ils prennent des mesures concrètes pour éduquer leurs collègues et mettent en place des politiques de tolérance zéro pour les agresseurs. Qu’ils ne leur cherchent pas d’excuses ni ne détournent les yeux.
Quant aux boys clubs, qui perpétuent des normes de genre toxiques et maintiennent des réseaux d’influence entre hommes, ils doivent être démantelés. Nous voulons des hommes alliés, des hommes qui écoutent les préoccupations des personnes sexisées et prennent leurs accusations au sérieux. Nous demandons aux hommes qu’ils s’engagent activement, sérieusement, et sur la durée dans la lutte contre les VSS. Qu’ils gardent le cap.
Le temps est venu de mettre fin au silence, les victimes méritent notre soutien et notre engagement, et nous pouvons, nous devons travailler ensemble pour créer un monde plus sûr et plus juste pour toustes.