Les auteurs sont mieux rémunérés que les autrices : 52%* de plus, tout de même. Ce sont eux également qui raflent l’essentiel des récompenses littéraires (76%*) et l’expérience d’une autrice américaine semble indiquer qu’il est 8 fois plus facile d’être publié avec un pseudonyme masculin.** Alors les autrices ont-elles réellement moins de talent que leurs confrères masculins ? Ou le sexe féminin est-il décrédibilisant d’entrée de jeu ? Quand on enquête dans le milieu, tout le monde se renvoie la balle.
Les femmes sont invisibles. On voudrait bien les mettre en avant, vraiment, on voudrait. Mais comment faire puisqu’elles n’existent pas ? C’est peut-être le CWILA (Canadian Women in the Literary Arts) qui nous donne les premiers éléments de réponse. En 2013, cette organisation a réalisé une large enquête. Les résultats sont sans appel : les critiques, surtout dans les grands médias sont des hommes. Et là où les critiques femmes vont préférer chroniquer les livres écrits par les femmes à seulement 51%, les critiques hommes, eux, plébiscitent les auteurs masculins à 69%.***
Mais qu’en est-il en France ? Et surtout qu’en est-il des autrices de bande dessinée qui composent 27% du métier (source : EGBD) ? Ou du fait qu’elles soient nettement plus nombreuses à abandonner rapidement le métier ?
Le Collectif des Créatrices de BD contre le sexisme a réalisé une étude sur un mensuel spécialisé. Ce mensuel, sérieux et intelligent, est prescripteur auprès des libraires, des éditeurs, des médiathèques, mais aussi des journalistes. Résultat, sur un an de publication 6,9% des interviewées sont des autrices, contre 93,1% d’auteurs.
Surpris d’un écart aussi flagrant, le Collectif a souhaité interroger le rédacteur en chef du mensuel.
Ce dernier, entre deux blagues misogynes « pour détendre l’atmosphère », s’est aimablement prêté au jeu. Quant aux accusations de sexisme, il a tout rejeté en bloc : « Nous publions en fonction de ce qui nous semble intéressant. Nous n’avons pas de position particulière sur le sujet. C’est un débat qui n’a pas lieu, en tout cas chez nous. »
Ses déclarations, hélas, font largement écho aux propos de Marie Donzel, fondatrice d’un cabinet conseil sur l’innovation sociale, l’égalité hommes/femmes et la lutte contre les discriminations, lorsqu’elle écrit : « Le milieu de l’édition ne se sent absolument pas concerné par le sujet. On y rencontre des gens assez progressistes, qui lisent, publient même sur ce thème. Or, sur le terrain, l’égalité et la mixité sont passées par pertes et profits. »****
La discussion se poursuit avec le rédacteur qui persévère : « Appliquer des statistiques, ça n’a aucun sens. Si on interviewe 27% d’autrices, on va où après ? » Quand on explique que personne n’a demandé une action aussi caricaturale, et qu’on sous-entend qu’on irait tout de même, peut-être, vers un peu plus de parité, le rédacteur en chef insiste : « Je m’interroge sur la façon d’analyser les choses et je ne suis pas certain qu’elles soient d’une pertinence absolue ».
Nous laisserons Andrea Dworkin lui répondre, puisque ses propos tenus en 1983 sont malheureusement toujours d’actualité : « Nous utilisons les statistiques non pour essayer de quantifier les blessures, mais pour simplement convaincre le monde qu’elles existent bel et bien. Ces statistiques ne sont pas des abstractions. C’est facile de dire « Ah, les statistiques, quelqu’un les tourne d’une façon et quelqu’un d’autre les tourne d’une autre façon. »
Ce rédacteur en chef n’a hélas pas l’exclusivité. En effet, quand on interroge un de ses collègues, rédacteur en chef d’un autre magazine spécialisé BD, également ultra-masculinisé, il répond : « Je suis ouvert. Citez moi des albums qui mériteraient d’être dans mon magazine dont le contenu est fait par des femmes. À titre personnel, je n’en ai pas vu. » Et de minimiser le problème puisqu’après tout « Zidrou a une sensibilité féminine, non ? »
Le problème serait que les bonnes autrices n’existent pas, « c’est le même souci à moins de faire à chaque fois une interview de Cestac, Meurisse, Brétecher, Bagieu, Catel. » Pourtant, quand on examine ces magazines de près, on les trouve tout disposés à faire de la place à des auteurs hommes nettement moins connus, nettement moins vendeurs et nettement plus débutants, jouant ainsi un rôle bienveillant et salvateur dans leur accompagnement. Mais réserver la même indulgence aux femmes ? Vous n’y pensez pas !
Champ de vision étriqué, mauvaise foi, ces magazines spécialisés en BD semblent n’avoir tiré aucune réflexion de la polémique qui a secoué le Grand Prix d’Angoulême en 2016, lorsque des auteurs exclusivement de sexe masculin avaient été sélectionnés par le jury.
Alors qu’on insiste encore sur la sous-représentation des femmes dans leurs pages, ils finissent par bougonner que c’est peut-être la faute des éditeurs qui ne souhaitent pas eux-même mettre les autrices en avant par le biais des attaché(e)s de presse. Pourtant, plutôt que de se renvoyer la balle, et avant d’appliquer des quotas artificiels dans les interviews, est-il vain d’espérer que cette presse si progressiste accepte d’elle-même la remise en question de ses réflexes ? Après tout, et les autrices et auteurs en témoigneront, prendre conscience de ces biais suffit souvent à les infléchir. Si une simple réflexion permet de corriger un écart statistique aussi éloigné des réalités objectives de la profession, il serait, nous le pensons, dommage de s’en priver pour des raisons aussi tristes que la
peur et la fierté mal placée.
*“Entre hommes et femmes dans l’édition la parité à petits pas”
**“Les éditeurs plus cléments avec les auteurs au pseudonyme masculin”
***“Les femmes restent largement sous représentées parmi les auteurs et les critiques littéraires”
**** Propos reportés par Actualitté en 2015
Une réflexion sur « Le Plafond de verre ? C’est pas moi, c’est les autres ! »
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